Les vélo de Raoul

Les vélo de Raoul
Un cadeau de Monsieur Filochard

lundi 18 juillet 2011

Dans la peau de Thomas Voeckler

Voeckler en jaune, une image bientôt collector ?
De la Nationale 7


Journée de repos, épisode 2. Les pieds sont posés au mur, j'ai mis le dernier album de Michel Sardou dans mon MP3 et je souffle. C'est l'heure de la sieste. Dans mes songes, j'aurais voulu apercevoir l'Arc de Triomphe, à la rigueur la ligne bleue des Vosges. Mes pensées ne m'emmènent pas plus loin que Pinerolo. Je suis maillot jaune du Tour et tout le monde prédit ma fin pour dans deux, trois jours tout au plus...
Ce matin, à peine mon bol de Nesquik avalé, j'ai reçu les journalistes du monde entier sur le parking du Novotel de Valence. Enfin, du monde de la France entière je veux dire. Les autres, ils montaient, descendaient et remontaient la Nationale 7 pour être à l'heure aux conférences de presse de mes adversaires. C'est bien cette idée qu'ont eu nos managers de programmer toutes les conf' à 10h ou 10h30 sur une zone qui s'étend sur plus de 100 bornes. Finalement, ça va retirer un peu de passion et de pression à tout ce bazar.

On m'a quand même tenu informé de ce qu'il s'était dit un peu partout dans les cantines. Au moins, ils sont tous d'accord avec moi quand je dis que j'ai zéro chance de victoire finale à Paris. C'est juste pour la galerie que, ce matin, j'ai pondéré le propos en disant que si j'étais encore en jaune au départ de l'étape de Créteil, là, peut-être...
Les prétendants, ils pondèrent beaucoup moins. Extraits en pagaille. Fränk Schleck : "Cela fait longtemps que Thomas m'impressionne. Il aurait dû nous dire avant le plateau de Beille que la montée par à coups ne lui posait pas de problème. On aurait changé de plan. Mais avec un jour sans, on peut perdre beaucoup." C'est gentil Frankie. Et tu vois, quand on ne passe pas son temps sur le toit, on peut aussi être deuxième du Tour en début de troisième semaine...
Andy Schleck : "Il m'étonne. Mais il faudra voir comment il passe les Alpes. Avec Fränk deuxième, c'est la position idéale pour entamer la bataille du maillot jaune." C'est ça Andy, vient le chercher. Et pour passer les Alpes, je ferai comme toi : à vélo.
Samuel Sanchez : "Je vois Basso et Contador, qui ira beaucoup mieux." Au moins comme ça, il reste encore une place sur le podium. Sinon, Samuel, Voeckler, ça s'écrit V.O.E.C.K.L.E.R.
Alberto Contador : "Les frères Schleck doivent revoir leur stratégie, car ils vont avoir la vie dure avec Cadel Evans et Thomas Voeckler. Voeckler a les mêmes possibilités que Cadel, mais il n'est pas mon favori n°1. Seulement un candidat sérieux." Dommage, Albert, ça partait bien...

Alors après ça, que vouliez-vous que je raconte devant les micros ? J'ai donc fait ce que je fais de mieux : du Voeckler. Avec des grandes tirades, du vocabulaires qui plait aux médias. Ca a donné ça : "J'ai l'impression qu'il y a une caste : celle des grands. Je ne me suis jamais senti proches d'eux. S'ils me considèrent un peu davantage, je n'en tire aucune satisfaction." J'ai vu des regards ébahis. Humilité, objectivité. C'est la marque Voeckler.

Une page de pub dans un monde de brutes


J'ai aussi vu qu'ils étaient tous subjugués. J'en ai alors remis une couche : "Je n'ai aucune obligation, sinon une obligation morale envers mes équipiers qui donnent tout, de donner tout moi-même jusqu'au bout de ma souffrance." Jean-René Godard, qui était passé là en touriste, en est tombé de sa chaise dans un grand fracas. Il a grommelé en essayant de se relever. L'un de ses assistants m'a fait signe de continuer, comme si rien ne s'était passé. Pauvre Godard, trois rosés et quatre Ricard en plein cagnar, ça ne pardonne pas.
Il restait quand même deux trois gars pas vraiment convaincus par mon discours. Des copains de Chavanel peut-être. Alors j'ai mis les choses au clair : "A une époque, j'avais l'impression de ne pas être trop apprécié. Depuis deux trois ans, cela a peut-être changé. Peut-être que j'avais la grosse tête, peut-être que je ne l'ai jamais eue..." Le coup de grâce. Les ménagères de plus de 50 ans, elles aiment bien un peu de virilité dans le propos. Ca les flatte. Ca les émoustille une dernière fois.

Derrière le rideau de caméras, je voyais Jean-René Bernaudeau qui faisait son numéro. Un coup il tombait à genou, les deux mains jointes, comme en prière. Un autre il fermait ses yeux, laissant apparaître toute la plénitude du manager comblé. Un peu après la conférence de presse, comme il était invité du JT de 13 heures, avec la même conviction qu'il avait annoncé un podium à Paris pour Christophe Kern, il a lâché : "Europcar sera à la hauteur pour épauler ce maillot jaune qui rend son panache au cyclisme."
Mais nos assistants n'ont pas été pris au dépourvu. Depuis que j'ai endossé le maillot à Saint-Flour, ils ont en effet pris l'habitude à laisser un paquet de Kleenex à portée de mains de JR dès qu'un micro se tend. Les Kleenex, c'est idéal pour éviter d'en mettre partout.
Avec les gars de l'équipe, on était tous caché derrière la porte de notre restaurant itinérant. On a eu peur que la boîte se vide d'un coup quand le patron a ajouté : "L'avantage de Thomas, c'est deux minutes d'avance, de l'expérience et avoir porté le maillot jaune en 2004. Il est le plus fort dans sa tête, mais la course ne commencera qu'au pied du Galibier." C'était beau comme du Zola. J'ai même dû essuyer une larme. L'émotion.

En me retournant vers les gars de l'équipe, j'ai vu qu'il y avait beaucoup moins d'émotion. De la crainte dans les regards plutôt. Je leur ai dit que je n'y étais pas pour grand-chose si les ténors m'avaient laissé prendre quatre minutes à Saint-Flour. Maintenant qu'on l'avait, il fallait bien le défendre ce paletot. Je crois bien que c'est Pierrot Roland qui a expiré son dernier souffle le premier.
Je suis maillot jaune du Tour et tout le monde prédit ma fin pour dans deux, trois jours au plus. C'est sans doute vrai. Ou pas. Moi, ce que je sais, c'est qu'il neige sur le Galibier. Et si les organisateurs d'un brevet cyclotouriste ont appelé au secours les pompiers pour évacuer 200 cyclistes en hypothermie, alors ASO peut parfaitement escamoter le juge de paix des Alpes juste pour moi.
Bernard Hinault attend son successeur depuis 1985. Puisqu'il a dit à l'Equipe que je "commençais à l'amuser", j'ai bien mérité un coup de pouce du destin...

Le son du jour. Journée de repos oblige...

Fernand et Michel Sardou Aujourd'hui peut-être par ChrisGabin

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire