Un Rolland tranchant comme une épée |
De l'Alpe-d'Huez (21 verres vidés)
Attention, ce soir, Raoul craque. Raoul avance avec un casque lourd sur la tête et le gilet pare-balles assorti. Raoul sort la baïonnette et les gants de boxe. Pourquoi donc ? Tout simplement parce qu'il faut bien ça pour tirer sur une icône. Comme sur l'ambulance, ça ne se fait pas. Mais ce soir, je l'avoue, j'ai envie de disperser Monsieur Bernard Hinault en personne et de ventiler les cendres sur les 21 virages de l'Alpe-d'Huez.
Depuis des années, le Blaireau nous bassine en effet avec le manque de panache des prétendants à la victoire finale dans le Tour. Sous prétexte d'être le dernier coureur hexagonal à avoir remporté la Grande boucle, il tance à longueur d'année les coureurs français coupables de ne pas être au niveau, en tout cas de ne pas s'entraîner comme il faudrait le faire.
Alors Bernard, remémore-toi ce qu'il vient de se passer durant deux jours et révise très vite ta copie. Je pense que tu sais de quoi je parle sinon, quand un journaliste belge t'a demandé quel était ton sentiment sur le chrono de Grenoble, sur ton pronostic final, tu n'aurais pas dit « Je ne peux pas me prononcer... » C'est sans doute parce que quand les gars se lancent dans la bagarre de très loin, quand un Français te succède à l'Alpe-d'Huez, quand un autre fait vibrer les mamies pendant dix jours, toi tu perds tes repères.
OK, dans quinze jours, peut-être que le laboratoire de Châtenay-Malabry ou celui de Lausanne annonceront qu'il y avait de la soupe de tortue dans les urines des Schleck ou de Contador. Peut-être que Pierre Rolland retombera dans l'anonymat, laissant dans l'histoire du cyclisme l'image d'un coureur sans lendemain. Mais en attendant, Bernard, pendant deux jours, on a tous pris un pied monumental et ton discours a été balayé d'un revers de la main.
C'est que sur l'Alpe, des masques sont tombés. Celui de l'escroquerie de l'année pour commencer. J'ai nommé Jelle Vanendert. Le garçon nous a fait une traversée des Pyrénées du feu de Dieu. On a tenté de nous vendre l'histoire du gars qui avait été au top dans les Ardennaises, rampe de lancement favorite des cadors du Tour. Là-bas, il avait pris des places d'honneur après avoir servi de poisson-pilote à Philippe Gilbert qui s'était offert la Flèche Wallonne, Liège-Bastogne-Liège et l'Amstel. Hey les gars, le dernier à avoir réalisé le triptyque se nommait Rebellin. Je développe où je m'arrête là ? En attendant, aujourd'hui, Jelle, tu as pris un éclat taille XXL : 16 minutes dans la musette. Le Top 10 s'est envolé avec ton maillot à pois. Tu vas pouvoir retourner dans l'anonymat du peloton.
Concernant les masques, celui de Thomas Voeckler fait maintenant six pieds de long. Il l'a un peu mauvaise le fiancé de la France comme l'ont baptisé les gars de France Télévisions. Le suspense, ça s'entretient et les miracles, c'est du côté de Lourdes qu'il faut aller les chercher. Le Galibier, l'Alpe-d'Huez, c'était bien trop pour toi et ton précieux. Rentrer dans les cinq premiers à Paris, ce serait déjà un bel exploit. Celui de ton niveau. Pourquoi en rougir et se vexer d'avoir lâché le paletot dès le début de l'étape.
Ciao l'escroc Vanendert
Ah c'est certain, si Alberto n'avait pas dégoupillé au bas du Télégraphe, tu aurais encore pu jouer les sangsues au milieu des vrais patrons du Tour. Mais imagine un peu le chantier, samedi autour de Grenoble, si tu avais conservé le maillot jaune pour une poignée de secondes à l'Alpe. Ç'aurait été encore plus difficile à digérer. Tu t'es bien battu, la France a pris conscience de ton panache et de cette hargne qui font de toi le leader du cyclisme hexagonal.
Pas besoin d'aller chercher des excuses à deux balles pour comparer ta montée vers l'Alpe au chemin de croix de Jésus. Le coup des sifflets hollandais qui t'auraient accompagné du premier au dernier des virages, c'est joli pour la légende, mais la vérité diffère quelque peu.
D'abord, il y a bien longtemps que les 21 lacets ne sont plus annexés par la Hollande. La montagne orange, elle n'est plus circonscrite qu'à la seule traversée du village de La Garde, où dégoulinent la bière et la musique techno. Oh ! Thomas, peut-être que des supporters avinés t'ont chahuté, mais t'avais juste à leur rappeler qu'ils n'ont plus de coureurs à soutenir depuis longtemps pour que ça les calme.
D'ailleurs, quand tu as traversé le vieux village d'Huez, là où les invités de la Saxo Bank pensaient sabrer le champagne avec Contador, où le club de supporters des frères Schleck avait loué un chalet, où le Kivi Club Astana avait positionné ses aficionados, eh bien Raoul y était aussi. J'imagine que l'ovation que tu as reçue a dû te donner des frissons. Demande son avis à Arnold Jeannesson, il était dans ta roue. Alors oui, petit bonhomme, ce soir tu es triste. Mais depuis une semaine, tu nous disais que tu ne gagnerais pas le Tour. De quoi tu te plains maintenant ?
Et puis, y a quand même un lion de plus posé sur le pare-brise du bus de l'équipe. Pierrot, ton pote, ton frangin, ton poteau, ton copain qui te tient chaud, il a fait un numéro. Ça restera certainement comme la seule victoire française du Tour 2011, mais celle-ci n'a pas de prix. Parce qu'elle est tombée dans la musette d'un gars qui s'est sacrifié pour toi pendant dix jours.
Le sacrifice de Rolland
Pierre Rolland a gagné à l'Alpe-d'Huez. Le premier français depuis Hinault en 1986. « C'est l'année de ma naissance, je ne l'ai donc pas vécue cette victoire de Monsieur Hinault. Les gens ne se rendent pas compte du travail réalisé pour en arriver là. Des années et des années de travail ! » Et deux saisons à ronger son frein en attendant d'éclore vraiment. Chapeau Pierrot, celle-ci, elle est belle. Et ça ne sera pas la dernière.
Du reste, pardonne mon égarement, mais je suis persuadé qu'on t'a purement et simplement sacrifié sur l'autel de la Voecklermania. Jusqu'à preuve du contraire, le grimpeur maison, c'est toi. C'est à toi que Jean-René a dit de te concentrer à 200 % sur le Tour. Imagine un peu si Astérix t'avait libéré un peu plus tôt. Tu la joues encore modeste Pierrot - « tant que Thomas était en jaune, je n'avais pas à jouer ma carte. Je n'avais pas le droit d'aller déshabiller mon leader. » Maintenant, va falloir t'imposer.
Tu peux le faire et franchement, y en a deux qui ont compris le message. Les deux vaches folles espagnoles pensaient renverser les têtes couronnées, mais décidément Alberto, une brochette de carottes, une escalope de brocolis ou des salsifis en daube, ça ne vaut pas un bon vieux jambon d'Irun. Même servi par ton ombre, le champion olympique Samuel Sanchez. Alberto a pris cher jeudi. Il s'est rendu compte que la porcelaine de Gien, c'était aussi du costaud.
Et Andy Schleck dans tout ça, me direz-vous. Il a fait le job sans avoir peur du contre-coup : « Non, je n'avais pas peur puisque les autres avaient fait le même travail que moi sur l'Izoard et le Galibier. » Ne t'enflamme pas trop quand même. Tu frises l'indécence quand tu balances : « Le parcours du chrono me convient, mais je ne l'ai pas reconnu. J'irai samedi matin. Mais prendre le maillot jaune juste avant le contre-la-montre, c'est une bonne chose. Mes jambes sont bonnes. Oui, je suis vraiment dans les meilleures conditions pour aller avec jusqu'à Paris. »
Dis donc Andy, Fränk est à 53'' derrière au général. Mais Cadel, il ne connaîtra peut-être pas un autre incident mécanique comme celui qui lui a pourri sa montée du Télégraphe. Alors 57'', c'est peut-être plus qu'il n'en faut pour qu'un Kangourou s'offre pour la première fois le Tour de France. Et samedi soir, au bout du boulevard Clémenceau, on pourrait bien avoir deux cocus du nom de Schleck. Ça en boucherait un coin au Blaireau une telle issue. Non ?
Le son du jour, la chanson de Rolland...
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