Voeckler, jamais sans mon Pierrot... |
Du Galibier (ça caille)
Alléluia mes frères. Il fallait bien ce Tour passé par Lisieux et Lourdes pour qu'on est droit à un miracle. En l'espace de 200 bornes tracées entre Pinerolo et le Galibier, les suiveurs du Tour de France ont fait un bond de près de trente ans en arrière. Pas loin de trente berges en effet dans les mirettes et cette époque bénite où les champions salaient sans doute la soupe, mais certainement pas à grands coups de doses d'EPO, de PFC, de transfusion et toutes ces saloperies qui ont poussé le peloton à se faire du sang mauvais depuis le milieu des années 90.
Et cette joie indescriptible qui a valu à la salle de presse deux salves d'applaudissements, c'est à Andy Schleck et à Thomas Voeckler que nous la devons. Avec les copains, ça nous a tellement transcendé cette étape de haute montagne qu'on a tous filé se faire tatouer Andy sur la fesse droite et Thomas sur la gauche. Au moment où je poste cette chronique sans queue ni tête, j'en vois encore qui courent nus à travers les rues de Ménetier-les-Bains. La descente vers Modane s'annonce déjà périlleuse et les virages de l'Alpe devront s'attaquer avec un sac plastique à portée de mains au risque, sinon, de laisser des traces dans l'ascension.
Grâce soit donc rendue à Andy Schleck, que son grand frère avait dû sévèrement corrigé au soir de Pinerolo pour qu'il se lance dans une chevauchée de 60 pitons alors même que le peloton maillot jaune n'entrevoyait pas la Casse déserte dans l'Izoard. Il a suffi d'un petit coup de sifflet pour qu'Andy sonne la charge. Fränk n'a rien dit. C'était donc prévu. Ceux qui avaient pris le ticket du matin n'en sont pas encore revenus qui ont vu une fusée codée 11 sur les flancs les déposer littéralement.
Du grand oeuvre qui prenait toutefois l'allure d'une tentative de suicide pédalante, d'une partie de roulette russe avec cinq balles dans le barillet. Faut comprendre, je vous ai déjà expliqué qu'Andy, c'est un grand enfant. Un pré ado qui n'est pas gêné quand on le chambre, mais dont le comportement peut dérouter. Son offensive du jour a donc laissé pantois tous les plus grands consultants. Sur RMC Info, Cyrille Guimard ne cessait de répéter : « Ils ont raison de ne pas s'affoler. Il faut laisser la course se faire. » Bein Alberto, il a vu. Ou plutôt non. Il est passé par la trappe. Tour perdu, illusions emportées.
Cunego-Basso, ne sucent que si l'on s'en sert
Luc Leblanc, toujours sur les ondes de la radio sudiste : « Y a quand même danger, c'est incroyable que personne ne réagisse. » Si, si, Cunego et Basso ont parfaitement réagi quand la tempête a commencé à souffler : ils se sont faits tout petits, ont mis la capuche de leur K-Way et ils ont sucé les roues sans demander leur reste. A ce rythme, ils s'assureront un Top 6 sans qu'à aucun moment de la Grande boucle leurs noms soient apparus dans les communiqués.
Du côté de France Télévisions, on attendait depuis tellement longtemps qu'un cador prenne ne serait-ce qu'un risque, qu'on a commencé à pavoiser l'antenne de drapeau luxembourgeois. Puis quand Voeckler a réalisé l'exploit de sauver sa tunique pour 15 petites secondes, bien aidé il faut le dire, par Pierre Rolland, on a renversé les drapeaux et claironné que « ça y est, cette fois, un Français peut enfin succéder à Bernard Hinault. » Maria Gonçalves, modeste technicienne de surface portugaise employée par la chaîne publique pour nettoyer les studios après l'étape ne remercie pas Thierry Adam, Gérard Holtz et Jean-René Godart qui en ont mis partout...
Pardonnons-leur ce total abandon. Ce sont les aléas du direct. Et puis ce n'est pas tous les jours qu'on vit une telle étape. Du suspense, un brin de folie, des moteurs qui serrent, d'autres qui se noient. Ça fait toujours ça quand on met du super dans des réservoirs faits pour le gasoil. Peut-être que le mois d'août viendra calmer nos ardeurs, mais il se passe décidément des choses très drôles sur ce Tour. Si on m'avait dit que Pierre Rolland et Thomas Voeckler largueraient Alberto au sommet du Galibier, j'aurais filé directement à Pinto pour convaincre l'enfant du pays de se remettre très vite à la viande.
Ce soir, le champagne coule à flot dans l'hôtel Europcar. Jean-René Bernaudeau s'est mis aux platines. Il a déjà réservé David et Cathy Guetta pour la soirée d'après-Tour. Je lui conseillerais bien de ne pas trop s'emballer, parce que demain entre Modane et l'Alpe-d'Huez, je crains que le léopard du Grand-Duché ne fasse de nouvelles victimes. Le peloton de gendarmerie de Haute-Montagne avait déployé tout un bataillon pour assurer la sécurité des coureurs au cas où le Yéti et le loup du Champsaur ne décideraient d'attaquer les plus affaiblis.
90 gars hors délai
Pas de bol, le danger était au coeur du paquet. L'attaque a fait de tels dégâts que, pour un peu, on filait vers Paris avec seulement 80 mecs encore en course. A partir de la 81e place, l'étape du jour en a mis hors délai 90. Parmi ceux-là Casar, Chavanel, Cavendish, Cancellara, Petacchi, Flecha, Hushovd, Gilbert, Roy, Boasson Hagen ou Farrar. Dans son immense mansuétude, le président du jury a donc décidé de repêcher tout ce joli monde. L'inverse aurait fait tâche.
En revanche, dans les fossés de la montée du Lautaret et du Galibier, il reste quand même quelques carcasses de coursiers dévorés par les léopards. Celle de Contador, donc, qui lui vaudra l'érection d'une stèle souvenir à moins de 2km de l'arrivée. Un peu plus bas, la dépouille de Samuel Sanchez. Le doute subsiste encore pour Vanendert. Une imposture peut-elle résister à une nouvelle attaque d'un carnivore. Ses blessures semblent en effet irréversibles. Au sujet de Moncoutié, par contre, il n'y a plus aucun espoir.
Comme seule excuse pour expliquer son méfait, Andy l'ado rebelle a déclaré : « Je n'avais pas peur de perdre. S'ils voulaient tous revenir sur moi, il fallait qu'eux aussi se fassent mal aux pattes. » Griffé sur tout le flanc par le félidé, Voeckler ce héros a évidemment enrobé sa perf du jour avec tout ce qu'il fallait de ruban : « J'ai fait un numéro par rapport à mon niveau. Andy a fait un numéro tout court. A 2 bornes de l'arrivée, je ne savais pas que j'avais perdu le maillot. » Alors, elles servent à quoi les oreillettes si elles préviennent plus des écarts ? Déjà qu'on ne les utilise pas pour annoncer un virage dangereux, un gendarme couché et empêcher Leipheimer d'aller au tas un jour sur deux...
En tout cas, Thomas qui devait mourir une fois à Luz-Ardiden, une autre au plateau de Beille et qui demeure toujours en vie au Galibier a déjà prévenu : « Je ne peux plus garantir grand-chose. Je n'ai pas le droit de ne pas avoir le moral. Je donne juste le meilleur de moi. » Tu restes une sacrée tête à claques et il faut s'y reprendre à deux ou trois fois pour que tu passes sans encombre les portes du village départ, mais faut admettre, Thomas, ce que tu as fait aujourd'hui, ça inspire le respect.
Enfin chez les suiveurs et sur les plateaux de France Télévisions. Parce qu'un peu partout dans les cantines des équipes, c'est surtout le bruit des couteaux qui s'aiguisent qu'on entendait autour de Serre-Chevalier. C'est jouissif de voir Johan Bruyneel et Bjarne Riis se prendre une belle raclée, mais derrière faut assumer.
Le son du jour. Pour être certain qu'il ne nous a pas tout dit...
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